C’est une pointe, un pied dans un dur chausson de satin, un coup de pied de danseuse s’élevant sur les premières notes du « Je te veux » de Satie au-dessus du tissu tendu à l’horizontale.
Le pied en courbe se meut verticalement, accroche la note dépassant du tissu blanc.
Une main suit le pied. Attrape l’invisible dans l’air, s’agrippe aux notes suivantes. Puis c’est la jambe entière qui surgit et franchit la bande de tissu, s’y enroule jusqu’à ce qu’apparaisse enfin le visage.
Le visage de la danseuse habite cet inatteignable, scrute l’horizon dans les gestes musicaux du corps.
Son visage ne dirige pas, il suit les injonctions du rythme, coïncide avec lui, irradie la tension extensive, l’intensité du mouvement à lui-même sa propre fin.
Le visage est tourné vers un feu intérieur, une vibration du corps élargissant son espace.
Par-delà l’interprétation du visage et du corps musical, il y a Sabine.
Son visage se confond avec les mouvements dansés. Son visage valsant tient du sphinx et du kaléidoscope.
Regard impérieux dans l’axe de la pirouette, point fixe de centralité secrète, gravité indépassable.
Don du visage qui ne traduit ni l’effort ni la souffrance mais l’éphémère beauté conquise.
Instant de grâce, offrande d’illumination du regard dans l’équilibre tenu.
Le visage émacié et radieux porte toute la danse passée, présente et à venir.
L’indicible dansé dans ce visage ivre de son abîme.
Visage dévoilant son mystère pour s’en draper d’autant, visage défiant toutes les orientations, toutes les directions, ouvert au mouvement qui l’abreuve sans l’épancher jamais.
Figure de transmutation et de maîtrise, d’élan et de retenue toujours recommencés, insondable visage, question du corps artiste.