Dé-camper de Florentine Rey

Le titre résonne comme un appel d’air disruptif, comme un « élan » vers un lieu de désaliénation. Troisième livre de Florentine Rey publié chez Gros Textes après Le Bubon et Je danse encore après minuit, Dé-camper se distingue des précédents par sa forme narrative : écrit à la troisième personne, il s’agit du récit d’un état de post-rupture sentimentale, description d’un corps secoué par une crise psychologique et existentielle. « Il n’y a rien à retenir. Elle se laisse disperser »

Le lecteur suit cet état scruté au plus près des mots répercutant le choc incarné. Fuite de l’autre et liberté actée : partir seule tout l’été en « nomade » dans un camping de bord de mer. « Camper : rétrécir l’habitation et retrouver de l’espace à l’intérieur de soi pour penser, créer. » Récit largement autobiographique d’une rémission, d’une progressive reliaison à ses « sensations ».

La simplicité du style court, fluide et incisive. Le regard distancié permet une autodérision, un humour sur soi précieux dans la mise au miroir rétrospectif, sans complaisance. « L’élan » vers la solitude salvatrice et l’écriture apparaît comme l’enjeu central de ce texte témoignant avec sensibilité et sobriété d’une reconstruction de soi volontariste, malgré le désarroi. « La pulsion donne la direction. » Les phrases courtes, voire hachées, l’abondance des verbes d’action expriment le désordre organique subi et la détermination de l’héroïne se débattant, son énergie pour atteindre enfin un apaisement. « Ce qu’elle veut : une vraie place dans ce monde. »

La question de la reliaison à soi passe par la confrontation quotidienne à la langue, par la nomination écrite. Chaque matin, « elle » va écrire sur la plage. La crise intime, les déséquilibres inscrits dans son corps ne pourront se résoudre que par et dans les problèmes de langue qu’ils soulèvent (et non de « bouche » car « sa bouche a manqué » : « Ecrire ne passe pas par la bouche »).

La recherche d’un lieu à soi, du « vrai lieu » (A. Ernaux) s’effectue à travers une série de décalages d’expressions et une exploration de trouvailles linguistiques savoureuses, jeux de mots qui s’avèrent de véritables bouées : « Un jour elle sera Jupiter, la tête comme une planète : Jupi-tête ».

Le rétablissement de la « STRUCTURE » advient comme axe organique essentiel pour surmonter sa « blessure » : quand le corps est dans le texte, quand le texte habite le corps, chiasme d’organicité pour l’auteur qui a trouvé son « architexture » intérieure, mot-valise de la libre réparation de soi par et dans l’écriture.

Sa liberté de conquête « n’est pas un état de détente, c’est un mélange de répit et de vigilance »

« Sa main va chercher dans le corps les pensées, force l’épiphanie »

Cette dimension « épiphanique » est suggérée subtilement au terme d’un parcours de vaincue-battante des mots qui clôt l’épisode douloureux et ouvre à un « élan ».

« Des mots dans le poids que prend le corps au fil des ans »

Le processus de rémission passe également par un rapport privilégié aux règnes végétal et animal, à « la parole des autres espèces » à l’inverse de l’incommunicabilité éprouvée avec les humains. « Elle oublie le temps social » pour retrouver sa voix de fraîcheur enfantine, sa veine naturellement poétique : « ça sent bon la lune » déclare-t-elle quand elle commence à se penser comme une trame qui a « un début, un milieu, une fin ».  Ce qui compte finalement : « pouvoir rester nouvelle » par l’écriture mais aussi à travers son « envie de mer » qui lève et lave les troubles et les entraves, les atteintes du corps jusqu’alors retenu par « le contenu, le contenant, le contexte ». Elle parvient à se défaire de ces limitations, enfin

« s’absente et rejoint la haute mer de son imaginaire. Femme-poisson, elle habite un château de sable ».

Un livre marquant que signe Florentine Rey, dont les mots courageux laissent transparaître une voix singulière, personnelle et attachante.