(le temps passe et fait mes rides) 

« Éphéméride » de Valérie Rouzeau (la Table Ronde, 2020)

Ce livre de poésie hybride relève à la fois du journal non chronologique, des mémoires (déjà !), du carnet de notes et de citations, de la correspondance et du poème (quand même), de l’hommage, tout autant que de la note de lecture.
On y retrouve Valérie Rouzeau avec sa fraîcheur de jamais adulte, si savante néanmoins en solécismes, de spécialiste férue de sa « discipline » (le mot convient mal à son approche, vitale, organique, ludique, sans illusion, touchante, émouvante, passionnée, pleine d’espoir ou désespérée) de la poéVie (D.Biga qu’elle cite volontiers aussi).
Les vrais poètes n’en sont pas ou tout au moins jamais ne s’autoproclament tels.
« Et quant à moi, je compte sur mes syllabes. Mes mots des autres, je le répète, aussi. » (p.13)
V. Rouzeau dans ce dernier livre « fourre-tout », ne prétend pas atteindre sagesse et maturité mais partage des lettres précieuses, telles celle que lui a adressé Antoine Emaz. Hommage personnel est avant rendu à Christian Bachelin (« pas un poète d’aujourd’hui » mais « un poète de toujours »).
Le lecteur sinue avec plaisir entre quelques éléments de son parcours d’ « écrivain(e) de poésie » reconnue, préférant les vers pairs, à ses lectures publiques. Se réjouit de la variété sans ordre de ce qui lui est proposé, de l’appréciable inappétence de l’autrice à parler d’elle seulement (et non de son emploi et usage de la langue, de son métier, donc), de sa répugnance à « [s’]auto-gloser ».
De ses périodes de doute, de ses élans, de sa vision torsadée, faussement simple et facile, de ses fragilités avouées que l’on aime tellement. On imagine combien elle a baigné dans et passé d’heures avec les poèmes de Williams Carlos Williams ou avec ceux de Sylvie Plath, en traductrice consciencieuse, zélée, amoureuse des mots de l’autre. Un nécessaire travail de main/tien, étai d’une écriture elle-même armature d’une existence ballottée entre affectueux crocodiles et colibris amis.
De ses transports en tous sens, des lieux de résidence en festivals, de ses affres, de ses attachements, qu’elle évoque toujours avec pudeur, de manière plus ou moins cryptée, se dessine en souplesse une trace unique et humble égrenée au fil des années, qui fait aimer Rouzeau, son humour et son autodérision, loin de toute rigidité ou posture, l’absence chez elle de tout « esprit de sérieux », la légèreté aérienne de sa poésie, et aussi son voile de gravité.

Rouzeau et les zozios, d’autres ont écrit dessus, je ne m’étendrais donc pas sur son amour des plumes. C’est aussi, on le découvre, une chante-abeilles que Valérie, même en leur absence potentielle :

« Pour faire une prairie il ne faut qu’un trèfle et juste une abeille
Juste un trèfle, et une abeille,
Et la rêverie.
La rêverie sinon seule suffira,
Abeilles ou pas. »  

(Emily Dickinson, Autoportrait au roitelet)