Le charme acidulé de l’absurde :

Rigoler avec une pantoufle  d’Alfonso Jimenez   (Gros Textes)

S’il est un recueil léger et d’une fantaisie débridée proche d’une fable fantasque, c’est bien celui-ci, d’un humour à la fois attendrissant et surréaliste, où circule tout un bestiaire en une farandole quasi enfantine, en un conte animalier où les objets ont des exigences dont le poète se fait l’interprète sensible.
Les poèmes sont animés d’abondants points de ponctuation et d’exclamation : la vie y zigzague en feu follet de façon imprévisible, donnant l’impression que le poète assiste en spectateur naïf à des scènes de comptine, qu’il court après des lapins et des grenouilles, des laitues, des escargots et des pintades, des chats, une baleine, des crapauds et des limaces. Ce sont des situations issues de l’inconscient qui sont décrites allègrement, d’un ton badin et primesautier, ralentissant quelquefois en mélancolie ébauchée, vite chassée par une nouvelle trouvaille qui saute du coq à l’âne, pour l’air de rien, truffer les poèmes de perles travesties en pirouettes.
« Jouer à je n’est pas un joli jeu. »
« Les mouches sont des saintes » ;
les pantalons sales dépriment, les vélos peuvent être jaloux,
« les chemises ont une triste vie ».
« A quoi bon les bananes ? Pourquoi les oranges ? »
Questions faussement simplettes, très sérieuses pour un poète qui feint d’avoir «oublié [sa] cervelle là où [il] l’avait posée » mais qui sait conserver sa faculté d’étonnement, s’interroger sur l’essentiel – « Tendre une perche à tout le monde, est-ce possible ? »- et recueillir les gravillons crissants d’une philosophie du « peu » ; un rafraîchissant personnage travesti en Pierrot lunaire, de clown espiègle mais pas innocent, que l’on suit au fil d’une poésie empreinte d’indulgence et de tendresse. « Rire aussi ne sert à rien, mais fait du bien, comment faire ? »
Le recueil est illustré de pseudo gravures anciennes oniriques qui orientent l’imagination hors de toute référence réaliste, dans un univers XIXème de conte fantastique.Une lecture balsamique, aux angles courtoisement arrondis.