« Et mes yeux canadairs » de Béryl Breuil, Gros Textes, 2018

Avec Béryl, on sait qu’on peut compter sur les larmes pour éteindre les incendies. C’est pratique. C’est une image qui résonne comme une évidence, de celles qu’on oublie trop vite et que rappelle la poésie quand elle fait son boulot de poésie et Béryl fait bien son boulot d’artisane des mots. Elle sculpte subtilement les phrases. On sent qu’elle choisit avec soin ses sons et son tempo. La base ! Béryl déploie cet élan qui cisèle la langue et la page en délicatesse, la césure à la place juste, le hasard sous contrôle, le sens en embuscade. Elle écarte doucement la peau de la syntaxe pour que passe un peu d’air ou une petite pluie d’été. Elle ouvre une brèche pour nous donner un parfum boisé à respirer. Elle joue et virevolte de l’assonance. Elle ouvre son cœur parce que c’est un devoir élémentaire d’artiste. Il y a chez elle cette grâce assez rare de dire la douleur d’exister avec une sorte de légèreté joyeuse et mutine qui console et rassure : « détends tes muscles et viens t’étendre / dans la boue de l’étang / laisse couler et viens te rendre / aux sables mouvants / … / viens te coucher au bord de l’eau / laisse couler / laisse les loutres et les crapauds / te manger »

En attendant le moment où nous serons mangés tout crus, on peut encore s’émerveiller de ce grand vide comme une cathédrale, préférer l’intelligence du vieux buffet bancal et cassé de mémé à l’emboîtement impeccable des étagères ikéa, s’attacher à des gens ou regarder la lune, envisager le calme et pleurer bien sûr. La base ! Et si on a des yeux canadairs, alors c’est d’utilité publique. Il est des larmes qui brillent et nous éclairent comme les briques d’une renaissance émotionnelle : « Ceux qui brillent dans l’effort / de se reconstituer / ah qu’ils brillent / fort ».
Et pour finir, quoi qu’on fasse, on se retrouve toujours assis sur le trottoir d’une ville lointaine, la tête sur les genoux, dans la contemplation tranquille de ce qui ne peut se dire : « balayées mes pensées / comme des confettis / sur le crane japonais / d’un petit moine assis »

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