Commençons par une citation que j’affectionne particulièrement, livrée par Franck Lepage dans une conférence gesticulée. C’est la définition de la démocratie par le philosophe Paul Ricoeur : « Est démocratique, une société qui se reconnaît divisée, c’est-à-dire traversée par des contradictions d’intérêt et qui se fixe comme modalité, d’associer à parts égales, chaque citoyen dans l’expression de ces contradictions, l’analyse de ces contradictions et la mise en délibération de ces contradictions, en vu d’arriver à un arbitrage. »

Je voudrais revenir sur la panique qui s’est emparée de la presse bourgeoise, et des agents politiques qu’elle escorte, lorsqu’il y a quelques semaines une poignée de cafards inconnus (comme elle nous a nommés, la presse bourgeoise), de ratés jaloux, de zozos hystériques, de gugus staliniens, de censeurs aigris et autres wokistes djihadistes… a trouvé problématique qu’un brillant et médiatique produit du sérail, vaguement fascisant, encensé par cette même presse, parraine un événement culturel national dont les cafards sont traditionnellement et potentiellement acteurs. À considérer la véhémence agressive des réactions en chaines suscitées par une prise de position sacrilège, on peut penser que les cafards ont posé le doigt sur un point sensible. Ce dernier pourrait être la mise en lumière (ou même seulement le risque de mise en lumière tant la force médiatique nous est défavorable) de la pénétration, de moins en moins camouflable, de la société et du monde culturel par des acteurs de ce monde imbibés d’idéologies les plus réactionnaires et osons un terme qui défrise la mauvaise conscience du bourgeois, fascistoïde.

Cet épisode a également mis en évidence les divisions au sein du monde culturel et, pour ce qui nous concerne, poétique. C’est plutôt favorable au fonctionnement démocratique de nos espaces car ces divisions ramènent du politique là où on pensait l’avoir exclu. Quand il devient évident qu’un pouvoir rend la vie impossible à une majorité de gens au bénéfice d’une extrême minorité, il ne suscite plus l’adhésion, le consentement de la population et des mouvements d’oppositions viennent le menacer (cf pour le plus visible, l’épisode des gilets jaunes ou la contestation de la réforme des retraites, et maintenant le monde agricole). Pour se maintenir, ce pouvoir n’a d’autre choix que de répondre par la violence verbale et policière, en une brutalité qui le fait glisser doucement vers « un régime illibéral à tendance fascisante » (expression empruntée à l’historien Johann Chapoutot pour désigner le macronisme). Ce glissement est manifestement aujourd’hui à l’œuvre sous nos yeux.

Un autre épisode tout récent, celui de la panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian, fut un révélateur d’une fracture idéologique de notre société dans sa forme extrême. Les cercueils des résistants étant portés par des soldats de la légion étrangère, Marine Le Pen a pu justifier sa présence à cet événement par le fait que son père, Jean-Marie Le Pen, avait lui aussi, comme Manouchian, combattu et risqué sa vie pour la France dans les rangs de parachutistes étrangers dans un territoire qui à une époque était la France. On peut s’attarder sur le caractère abject de cet argument. Pourtant il est factuellement vrai. Le Pen a bien risqué sa vie pour une certaine idée de la France. Toute la question est de définir cette idée. S’agit-il de celle développée par Rousseau, Robespierre, Louise Michel… l’abbé Pierre ou celle dessinée par les Thiers, Maurras, Pétain… Tesson ? Je crois que la réponse est assez facile à trouver. Et question subsidiaire plus intéressante, quelle idée de la France prend pour modèle la bourgeoisie néolibérale au pouvoir actuellement ou potentiellement bientôt ? Et de quelles manières s’y prend-elle pour assoir ce modèle ? Par quelles ramifications concrètes?
Pour prétendre esquisser modestement des réponses, l’association Gros Textes en partenariat avec d’autres structures est en train de réfléchir à l’organisation d’un moment festif et réflexif, culturel et politique, poétique et combatif, dans l’esprit des « printantifas » (alternatives politisées à la manifestation officielle vérolée «printemps des poètes ») (idée à préciser). Il s’agit de mettre à jour, autant qu’on peut, les dérives en cours vers un modèle de société contraire aux principes républicains issus de la révolution, de démocratie (au sens de Ricoeur – voir début), d’humanisme et d’universalisme, de respect de droits fondamentaux et de chercher les outils à forger pour nous opposer à cette dérive… On envisage ça sur le vieux modèle « on réfléchit et c’est pas triste » avec de la poésie, des films, des concerts, des débats, des manifs… (sujets en vrac issus des premiers échanges informels, politiques migratoires, droits de l’homme et du vivant, luttes féministes et lgbt, critiques du masculinisme de  l’écofascisme….)
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Et c’est là qu’Artufel redescend d’un étage. Tout ceci est en tout début de phase de construction. Ce sera dans l’Embrunais (Hautes-Alpes), un des we entre le 11 mai et le 3 juin (avant les élections européennes). J’ignore l’importance que prendra l’événement, poignée de personnes dans un jardin ou méga festival… Les ami(e)s de la région ou d’ailleurs susceptibles d’être intéressé(e)s peuvent prendre contact avec moi,
auteurs(trices) Gros Textes ou non, tout est possible… Non, tout n’est pas possible mais on va essayer de pousser le plus loin qu’on peut les possibles et c’est exaltant…