Des corps poussés jusqu’à la nuit d’Ada Mondès, éd. les carnets du dessert de lune
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« me voici femme
livre résolument fragmenté »

Quand on pousse les corps jusqu’à la nuit, ils s’enflamment et lancent des étincelles au-dessus. C’est bien d’un livre étincelle qu’il s’agit : « j’écris jusqu’à ce que ça déraille / fais sauter les crans / de ma langue mitraillette ». Ah ça oui ça mitraille, ça tire dans tous les sens et ça fait mouche, ça vise pas, la cible est partout. Alors… Alors on reste là tout bête, on regarde hébété, on cherche à peine à comprendre. Qu’y a-til à comprendre ? C’est le monde comme il va, le monde que sillonne Ada, le monde dans la main d’une poétesse au souffle ravageur, généreux (« c’est des orages d’émotion dans les mots quand on dit ce qui est cassé chez les autres »).
Il faut ça pour dire le chaos d’un monde en dérive, la misère et les faims multiples qu’un voile de consommation de pacotille tente de couvrir lamentablement, un monde terrifiant. Alors Ada écrit pour apprivoiser la peur, écrit furieuse, écrit aux limites des forces jusqu’à vaciller tel boxeur devenu insensible aux coups. Ça frappe et ça encaisse, ça mélange langues et cultures pour ranimer ces braises d’internationales qu’on a oubliées dans la poche d’une blouse de chantier, ça danse des lectures tardives sur les ruines du vieux monde à l’agonie, ça donne force pour bâtir quelque chose car le poème finit toujours par se lever et nous avec, échevelés.

Poème pour se lever

si toujours trop tôt la nuit tombe
que ma tombe soit ce lieu de choix
un piano de verdure une piste de danse
un Giverny tout entier
une place de fête
où marteler des sabots
cracher la mort
son cortège de gueules tristes

dans la nuit j’aurai rejoint
le
Retiro de Gombrowicz
et veux les voir rire s’aimer s’user
jusqu’aux belles larmes
enragez-vous
pour ! contre !
chaque instant de cette vie

jusqu’à la brune quand
dans le soleil écartelé
l’odeur des buis montera sauvage
se mêler aux merisiers
dans la chaleur plate des blés
les montagnes violettes auront viré au cri
je penserai à ma petite tête
de cadavre sous l’écorce
et puis j’irai danser
sur la tombe du monde
vivante échevelée