Amis chantez-moi la chanson
du hall de gare ouvert à tous les vents
amis abandonnés sur le bas-côté du temps
avec les passantes si belles en leurs sourires
de vies mêlées de sciure de bistrot
les sandwichs au pâté les bocks de bières brunes
chantez longtemps ces notes ténues, ces troupeaux
trempés dans les replis de nos ventres
les mots collés à la banquette dure
comme des regrets des valises soucieuses
vous étiez là léchant le lait des nuages
le fond de gamelle d’amicales flammes
et sur vos imperméables de brume
perlait une fièvre de désirs doux
on lisait dans vos yeux les éclairs d’une époque
le fracas des villes les enfances en miettes
les départs repoussés les buissons les épines
amis sur les quais chantez longtemps à tue-tête
ou en sourdine ce poème qui demande
simplement pour chacun
à quelle heure on embarque ?

* Fernando Pessoa