Vies patinées de Jean-Claude Martin, éditions Les Carnets du Dessert de Lune, Illustrations de Claudine Goux, préface d’Hervé Bougel.

Dans ce livre de Jean-Claude Martin, on baigne dans le presque, le pas tout à fait, l’effleurement, le contact infime, ce qui se passe sans qu’on s’en aperçoive, l’à peine existant, ce qui se perd, le peut-être, le on n’est pas très sûr, on n’est jamais sûr, on n’a pas trop bien su, on est dans la langueur des après-midis de juillet, la symphonie de l’instant trouble, l’attention délicate à ce qui ne se remarque pas, le vague désir, l’illusion du désir, du temps et de l’éternité qu’on s’obstine à noter sur des bouts de papier, ce qu’on ne voit pas, la promesse évanouie, l’identité douteuse, le doute permanent, la conversation périlleuse, l’ambiguïté, la perte qu’on accepte, le regret résigné («t’avais qu’à attraper la queue de Mickey!»), la réussite frôlée à deux doigts seulement mais juste frôlée, l’union impossible, le bonheur repoussé, la joie qui file entre les doigts, ce qu’on ne parvient pas à saisir, l’endroit où l’on n’est plus, le souvenir raté, l’aube déconfite, le désir de vivre qui repeint malgré tout le mur du ciel etc… etc… Et c’est ce qui fait la patine de nos vies.

La préface très juste d’Hervé Bougel pose bien le problème : « Les vies sont patinées, les vies sont lustrée, les vies sont luisantes comme le verglas sur le macadam, comme un champ de fleurs sous la pluie d’été… la vie n’est pas ce qu’on nous fait croire, il faut s’accommoder de ce vieux mensonge toujours répété, toujours cru, quand bien même, après nous, l’éternité ne saurait durer très longtemps. »

Mais la poésie de Jean-Claude Martin invite aussi à faire quelques compromis pour rendre ce temps vivable, passer la nuit, allumer les lampadaires qui rendent l’attente d’on ne sait trop quoi moins terrible, un air de piano pour se sentir moins désaccordé, la primevère des jours qui rallongent pour une ébauche d’émerveillement, la mort qui passera un autre jour… Alors avec les autres passagers, sur le pont d’un navire sans capitaine, nous regardons encore s’enfuir le paysage dans la soie de l’air.

« Il n’a pas plu. On peut dire ça d’aujourd’hui : « Il n’a pas plu. » ce qui ne veut pas dire qu’il a fait beau… « Il n’est pas petit, elle n’est pas nulle, ils ne sont pas méchants. » Ce qui ne veut pas dire qu’il est grand, qu’elle est douée, qu’ils sont bons… « Aurait pu mieux faire » : toute sa vie, ces vieux bulletins scolaires ! Et sur ta tombe : « Ç’aurait pu être pire ! »…

On a l’optimisme qu’on peut. Ou plutôt la politesse d’un pas tout à fait désespoir, domaine où Jean-Claude Martin excelle depuis des années.

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