La cour aux tilleuls de Jean-Noël Guéno, éditions Encres Vives
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On a tous des tilleuls ou des platanes qui durent quelque part au fond de l’enfance. Ça fait joli dans la mémoire en équilibre. On ne va pas tomber. Il y a les branches pour s’accrocher. Nous sommes les funambules de la vie, c’est comme un rêve sur lequel on pose le pied prudemment, un fil entre deux rochers. Il y a la pluie et les poèmes de René-Guy Cadou. Ils parlent des chiens qu’on a aimés et qui sont mort, des courses à travers champs, on ne craint pas de tomber, l’herbe est épaisse, les foins sentiront bon. Dans ces poèmes on traverse d’éternels printemps en riant et des tours de manège n’arrêtent pas de tourner… on cueille quelques pâquerettes aussi dans l’herbe d’un terrain vague, ça fait joli on l’a déjà dit. Plus loin il y a la mer et les chaudes promesses troubles que portent les embruns, les trous qu’on creuse dans le sable avec nos pelles en plastique pour traverser la terre et le temps, la quête de trésors improbables, les escaliers on les monte en sautant pieds joints, c’est du record, c’est de l’exploit, c’est de la victoire dont nous sommes friands. On a gagné un beau galet, on peut dire qu’on est vivants, amoureux sans savoir ce que c’est, le sentier qu’on suit à tâtons comme dans une grotte, faire les 400 coups puis rentrer goûter la tartine de pain beurré avec un peu de sucre dessus, préparée par une grand-mère, en rêvant aux jambes de la petite voisine.
Aujourd’hui on rassemble les morceaux, ce qu’il reste de cette porcelaine brisée, les morceaux épars, pas grand chose, et dispersé, un bruit de porte qui claque, le souffle du vent dans la cheminée ou dans les voiles, c’est pareil, un oiseau blessé qu’on n’a pas su soigner, c’est trop compliqué un petit corps fragile.
Je regarde cet enfant qui marche vers la mer.
« Enfances perdues
                   ou
                           sauvées des eaux
Nous nous glissons
                                le long du fil d’Ariane
                                                        pour dénouer
l’écheveau du passé »