Les deux royaumes de Patrick Dubost, éditions la rumeur libre.
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Entre cantiques et sermons, ce livre est né à l’abbaye de Boscodon, tout près d’ici, où Patrick Dubost était en résidence au printemps 2019. Je le voyais souvent. Il ressemblait à un moine chevelu. Venant de croiser un AVC, il apprivoisait le royaume des morts en prêchant de beaux poèmes métaphysiques. Il remettait au jour un ancien recueil qu’il avait publié en 1999, «Sous la lumière d’Assise ».
Dans celui-ci, il développe à nouveau un esprit franciscain. Il convoque de nombreux animaux qu’il couve de tendresse, des oiseaux bien sûr en grand nombre, qui font autour de sa tonsure abstraite comme une auréole de musiques célestes, mais aussi des moustiques (communs au royaume des morts et à celui des vivants, à jamais incapables de trancher, les moustiques), des chapeaux (pour dépiauter le monde), des chaises en plastique blanc (elles doivent aussi avoir un rôle non négligeable dans la pièce), des guêpes, des pieuvres, un canard, un scarabée, des fourmis en quantité (espèce incompatible avec le concept de solitude), un renard, des huîtres (qui étrangement encombrent les réseaux téléphoniques), un ours et des élus de la république (ben oui ce sont des bêtes comme les autres). Et ça fait un monde tout neuf, merveilleux, en chantier, un monde qui se théorise par fragments juxtaposés, creusés à petits coups de pelle, entêtés, creusés un peu dans tous les sens. Le franciscain revient à ses obsessions, son laboratoire joyeux, ses constructions éphémères et fragiles. Le franciscain est singulier, irrégulier, hésitant, surprenant, écologiste, anarchiste. Il invente ses recettes en marge des données des sciences et des arts, il recycle la science et l’art à la dynamite, au feu d’artifice, il ramasse dans ses bras le monde entier, des débris de la science et des arts et empile des trucs et des machins aussi haut que le bazar peut tenir. Et ça tient, ça se casse pas la gueule. Je crois que le franciscain utilise de la colle incolore que Dieu refile aux fourmis qui vont la chercher au ciel avec une échelle invisible. Ça tire flèches en tous sens et comme ça vise rien, ça atteint toujours quelque chose, un fragment de soi-même.
« Il arrive que des inventeurs inventent ce qui ne s’invente pas. Ils fournissent alors des notices qui ne s’appuient sur rien. Qui sonnent dans le vide. On n’invente jamais que des fragments de soi-même & les notices ne peuvent être que bancale. »
Et ici, près de l’abbaye de Boscodon, le soir quand rougeoie et sanguinole l’éternel azur, on voit encore au-dessus des montagnes planer des fragments de l’esprit unique de frère Dubost, son esprit d’oiseau croisé avec un escargot, esprit bourré de bestioles qui toutes laissent trace de lumière dans la glaise d’un réel chancelant qui tente de se dédoubler en une langue mobile calquée sur le rêve.
« « L’huître a déjà tout accompli dans la mort » dixit le boulanger qui n’a plus toute sa boulangerie & dont on sait maintenant qu’il vit dans le projet d’écrire un recueil de poèmes. Mais la place de ce recueil de poèmes est déjà prise. Il arrive parfois qu’un objet dans l’univers tente d’exister en double exemplaire. Pour les recueils de poèmes, il est admis depuis longtemps que ça n’est pas possible. »