Mon miroir de la salle de bain de Pierre Tilman, éditions la Boucherie Littéraire.

Que reflète vraiment un miroir ? Son image, c’est-à-dire l’image de celle ou celui qui le regarde le miroir.
Mais le regarde-t-il ? Le regarde-t-elle, le miroir ? Il se regarde lui, elle; on ne regarde pas un miroir et pourtant on regarde un miroir pour se regarder. C’est à partir de ce paradoxe, de cette considération on ne peut plus basique que Pierre Tilman tire un fil comme il sait si bien faire. Tilman est le plus grand tireur de fils que je connaisse.

Question subsidiaire qui se précipite dans le panier de questions : Mais que reflète le miroir de la salle de bain quand on ne le regarde pas, quand on n’est pas là ? Tout le monde s’en fout sauf Tilman qui est aussi le plus grand poseur de questions dont tout le monde se fout. Enfin, cette histoire de miroir en notre absence peut donner lieu à bien des spéculations si notre esprit est porté là-dessus et celui de Tilman est porté là-dessus. Spéculation vient du latin speculum qui signifie « miroir ». Le miroir de la salle de bain de Tilman est érudit.

Spéculer, à l’origine, c’est observer le ciel à l’aide d’un miroir. Quand on ne le regarde pas, le miroir reflète les étoiles du ciel ou les murs de la salle de bain, des fantômes, l’univers, les années-lumière, le temps (le miroir « prend le temps et en fait des images », bien vu Pierre !), la vérité, la conscience, une forme de pureté qui questionne et qui révèle, « le miroir me connaît mieux que je ne me connais moi-même », le miroir est symbole de sagesse et de connaissance dans le bouddhisme tibétain, « Le miroir comprend tout, / Pour lui il n’y a rien d’incompréhensible ». Le miroir est un révélateur d’illusions, une connaissance indirecte d’une réalité inversée. Une réalité inversée est-elle encore une réalité ? hé hé hé !!! On dira qu’elle fait ce qu’elle peut la pauvrette de réalité, avant de choper mal au crâne. Et de toute façon « ce n’est pas lui (le miroir) qui patauge dans la réalité ». C’est nous pauvres couillons qui pataugeons.

Le miroir est l’instrument de psyché (dans les salons et les salles de bain de la haute ?), le versant ténébreux de l’âme, du doute. « Je dis à mon miroir : / Ne me laisse pas seul / parmi des personnes pleines de certitudes / parce que c’est terrible // Comme à son habitude, il ne répond pas. » Le miroir est taciturne.

À la fin on se plante dos au mur, face au miroir, et on réfléchit. Hi hi hi !!! On polit son image, la sienne, on bavarde avec son double, on écoute l’écho, on s’imagine refléter l’univers. Le résultat n’est pas brillant mais dans cette vie on ne reflète jamais que ce qu’on peut.

« Passionnant ! / Quelle existence !/ Non je vous jure »// doit-il se dire » (le miroir).
Oui, voilà ce que c’est d’accorder tant d’importance aux objets du quotidien, ils finissent par se foutre de
notre gueule.