Je me souviens ce soir d’Achille Chavée (celui qui disait : « Je suis un vieux peau-rouge qui ne marchera jamais dans une file indienne ») ou plutôt d’un numéro de Gros Textes dans les années 1990 où j’avais voulu lui consacrer un dossier. L’association de ses amis m’avait envoyé quelques inédits de ce poète belge surréaliste (au sens belge du terme). Je ne me rappelle plus de quel numéro il s’agissait et je ne sais pas si le poème qui suit figurait dedans.
– Dis donc Artufel, tu pourrais te donner la peine de faire quelques recherches par respect pour les lecteurs de ce blog non ?
– Je pense qu’ils s’en foutent les lecteurs du numéro. C’est la beauté du texte qui leur importe.
– Oui justement mais il est un peu long ce poème, ça risque de les fatiguer tes lecteurs, beaucoup ne liront pas jusqu’au bout.
– Oui, je sais c’est un risque assumé. Dans mes spectacles j’ai appris quelques poèmes de Chavée et celui-ci était toujours à deux doigts d’être retenu mais ne l’a pas été et ne le sera jamais, pourtant je l’aime beaucoup. Alors je voulais en faire quelque chose et ce blog me le permet. Alors…
– bon alors si c’est assumé et si tu l’aimes beaucoup, il n’y a plus rien à ajouter…
« Une nuit
De la laine pour avoir chaud / un bout de pain et des oignons / du feu encore / du vin / mon chien / et pourtant la table de la cuisine / n’est que le socle d’une guillotine // Il faut sortir / il faut fuir en avant / jusqu’au bout de la nuit / aller chercher la paix / je ne sais où / après une longue marche / dans un quartier de la périphérie // Se détendre / trouver un caillou de silence / le lancer / dans une dernière fenêtre allumée / où deux cadavres font l’amour / et puis quelque peu apaisé / prendre le chemin du retour // Mais comment résister au désir / de sonner chez cet ami / de le réveiller inopportunément / et puis de se sauver haletant / à toutes jambes / jusqu’au coin de la rue / ainsi que l’on faisait / au temps de sa précieuse enfance // Vraiment
je suis incorrigible / je me demande bien / qui pourrait m’enseigner à être sage / à ne plus faire le poète / à dormir sagement dans mon lit / ainsi que fait le fossoyeur // Il est encore trop tôt / je ne peux pas dormir / il faut que j’aille cueillir un œillet / dans le parc public / pour reprendre aux hommes / un peu de ce que j’ai donné// Je le mets à ma boutonnière / et c’est toujours la même vacherie / rentré à la maison / je veux donner un verre d’eau à la fleur / dans un petit vase de Limoges / et je constate que je l’ai perdue // Ah putain de vie / putain de nuit / putain de tout / me voilà chez moi totalement épuisé / J’ai le courage encore de caresser / une petite statuette en vieux Bruxelles / représentant une Vierge Marie / une annonciation que j’affectionne / je voudrais lui donner un baiser / mais je redoute de commettre un sacrilège / Pourtant / ce ne serait peut-être qu’à Maman perdue // Est-ce que la table de la cuisine / ressemble encore au socle d’une guillotine ? »