En laissant glisser mon regard au fil d’une étagère, je vois trois titres (« Histoires blanches », « Poésie sournoise » et une anthologie) d’André Frédérique et je me souviens du plaisir que je m’offre de temps en temps à aller rire jaune aux poèmes de ce pharmacien comique à la triste figure et à l’humour omniprésent relevé au rang d’art de vivre et de mourir. Fils d’un commissaire de police autoritaire qu’il haïssait et qui hante ses poèmes, ami de Vian, Queneau, Tardieu avec qui il écrivit des pièces radiophoniques, il fut de l’aventure des branquignols, inventeur du mot ringard, il passa sa vie à jouer « à la pirouelle, à la redouble, au rat musqué, à cache mésange, à mouton bêle, à baille au vent, à croque sel, à l’espincelle, à la marelle au cervelas, au mirliton dans la pendule… » (L’enfant boudeur, ça dure comme ça deux pages et la chute : « – Non je préfère étudier »).
Il joua aussi au pharmacien qui fait régulièrement faillite, à l’homme qui se marie et qui divorce, aux fiançailles à répétitions et à l’amour qui ne vient pas, à accumuler les dettes, à pousser le plus loin possible les limites de l’absurde et du burlesque et puis las de jouer au jeu de la vie, il doit y avoir un point où l’on ne parvient plus, même avec les meilleures dispositions, à jouer avec l’ennui et la détresse intérieure, il se suicida une nuit de mai 1957.
« Exercices de logique
Un homme qui serait mort mais qui ne serait pas né
Un homme qui naîtrait après sa mort
Un homme qui mourrait en naissant mais qui ne naîtrait pas en mourant
Un homme qui ne mourrait pas
Un homme qui naîtrait une fois sur deux
Un homme qui naîtrait quelquefois
Un homme qui n’arrêterait pas de naître
Un homme qui ne finirait pas de mourir
Un homme qui naîtrait de sa belle mort
Un homme qui naîtrait au-dessous de la ceinture et qui mourrait au-dessus
Un homme qui ne serait ni né ni mort
Cet homme-là n’est pas encore né. »
(Aigremorts, Guy Lévis-Mano éditeur, 1947)
Je ne sais par quel enchaînement inconscient la lecture de quelques poèmes d’André Frédérique me donne envie d’écouter Pierre Louki et d’aller faire un tour du côté de la rue des saules. Des rues des saules il y en a partout mais qui se souvient de Pierre Louki ?