La publication chez Gros Textes de « Ne vous ABC jamais » de Jean-Claude Martin fut l’occasion pour moi de relire un certain nombre de ses ouvrages.
Depuis des années cet auteur décortique dans de courts textes en prose et en quelques coups de couteau parfaitement aiguisé, avec une précision d’orfèvre, l’insolite, la beauté, l’absurde, le pathétique, l’original du quotidien. Ainsi dans « Le tour de la question » (titre qui lui va comme un gant) : « Qui as-tu regardé autour de toi ? Regardé, regardé vraiment ? Qui as-tu rendu heureux ? Heureux vraiment ? Par quel vent fus-tu bousculé ? Par quelle tempête emporté ? Les années ont passé comme des heures. Et, dans le sac où tu n’as pas puisé, peut-être n’est-il plus rien à donner ?… Allons, battre sa coulpe n’est pas excuse. Méfie-toi de tes
phrases. Toi qui sais si bien faire croire qu’on peut aimer les hommes sans sortir de sa chambre. »
Dans « Ne vous ABC jamais », le poète s’attaque à l’alphabet à travers une personnification malicieuse de chaque lettre et un lexique sélectionné en forme de terrain de jeu jubilatoire. On sent que l’auteur se régale et nous régale à disséquer des mots choisis tant pour distiller de façon ludique, avec force jeux de mots, des idées ou des colères, que s’adonner à d’aériennes pirouettes verbales. Chapeau l’artiste.
« CHAPEAU
Chapeau mérite référence et révérence. « Tirer son chapeau », « chapeau bas » ou simplement « chapeau ! » : voilà qui force le respect. Quand, en plus, on pense à tous ces gens qui ont survécu au désert grâce à la sobriété de leur… chapeau ! Pourtant, « porter le chapeau », « travailler du chapeau, « « manger son chapeau » prouvent qu’aucune chose dans la vie n’a qu’un seul côté. Courons alors à la chapelle qui, sans être la femelle du chapeau, nous aidera à purifier notre esprit. Et, au mépris de toutes les prudences, repartons… sur les
chapeaux de roues. »
« POÉSIE
À fuir. Comme auteur et comme lecteur. Poésie est morte, tuée par la rentabilité littéraire, bouffée par les chanteurs débiles et les professeurs gloseurs. « Les hommes auront toujours besoin de poésie », « c’est la forme la plus haute de l’écriture », « la poésie sauvera le monde », « à mes trois cent mille romans vendus, je préfère trois vers d’un poème »… : arrêtons les mensonges, les cataplasmes et les fausses mystiques, poésie est dans une impasse, un naufrage, sa mort préfigure le triomphe de l’argent et de la pollution sur terre. Je la hais,
elle a tué mes rêves, et pourtant je l’attends encore chaque soir au coin de ma vie. Dieu me pardonne d’avoir été si con… « 

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