« Au fond de chaque mot j’assiste à ma naissance » (Alain Bosquet)
Hier encore ou bien avant, nous aurions pu nous baigner dans de simples propos, des paroles sans importance, venues des arbres, des bords de lac, du fond des rivières. Mais nous savions peu de choses des autres et cela nous importait si peu. Dans nos courriers de nuits d’hiver, nous parlions surtout de nous, nous écrivions ce qui avait déjà été écrit, nous feignions d’avoir appris ce que nous savions déjà, nous étions maître dans l’art de ressasser des évidences tièdes et la poudre de nos révoltes était bien trop humide.
Il arrive un jour qu’on relise de vieilles lettres envoyées à nos parents et retrouvées par hasard, longtemps après leur départ, dans quelque tiroir encombré ou des lettres d’amour qu’on n’a pas eu le courage d’envoyer, rangées dans des livres jamais ouverts depuis tant d’années. Alors on frémit d’avoir été ce jeune homme bien trop assuré dans ses risibles illusions, ses vérités de bazar, son insolence flasque. On reconnait entre ces lignes le genre de personne qu’on éviterait de fréquenter aujourd’hui. Et pourtant, ce sont là des restes de notre écriture, des bouts d’os et si peu de chair que pour peu nous aurions honte. On voudrait reprendre tout ça, mainte fois encore sur le métier remettre le message, s’excuser dans le vide d’avoir été si maladroit, tellement distant, éponger à genou le manque de couleur et de passion, reprendre le fil d’une conversation et sur le seuil pouvoir adresser un signe vrai aux disparus d’un autre temps. On se dit que demain il faudra bien prolonger dans une lumière chaude les chemins si mal entretenus de nos pauvres manuscrits.
« Je t’écris De la main gauche
Celle qui n’a jamais compté
C’est celle qui faisait les fautes
Du moins, on l’a raconté… »