Nous voilà donc à marcher, nager, rouler, ou rester là, immobiles, à contempler des images, à nous représenter l’image d’une clé qui ouvrirait la porte d’une vérité. Ce n’est jamais la bonne clé mais on apprend à faire avec, à ressasser, plus ou moins sereins, des espoirs, des inquiétudes. Nous aimerions savoir si nous sommes présents sur l’image et quelle place nous y occupons, si nous sommes bien au cœur du monde ici à regarder passer ce qui passe, la lumière du ciel, les arbres qui se penchent vers nous, les images où nous sommes figurés toujours un peu trop flous. On craint d’être oublié à cause de tout ce flou. Je me souviens de la route nationale 94. Je l’ai emprunté quasiment chaque jour ouvrable pendant 25 ans. Durant de très nombreuses de ces années, presque chaque jour, dans la traversée d’un village rue, certainement devant sa maison, à un mètre de la chaussée était assis sur une chaise pliante un vieil homme qui, la journée durant, regardait passer les voitures. Quelle vérité du monde cherchait-il dans cette répétition immuable de la même scène ? Le reflet d’un film à jamais en suspens dans les détails du paysage ?… Nous marchons, nous
roulons, écrivons, photographions à la lisière du cœur du monde et nous sommes aussi sur l’image que fabrique un vieil homme
assis sur une chaise pliante au bord de la route. Et nous nous efforçons d’être présent, de ne pas perdre de vue les détails du peu qui passe.

« Les vagues et les jours c’est pareil
On dort on bronze on baise on dort
Les nuits d’orage on se réveille
Sur un matelas de poissons morts
Le soir, on dénoue ses godasses
On s’coue l’sable et le varech
Le lendemain, on les relace
On s’rait mieux de dormir avec… »