« Entre la vue et la vision, le chemin est très court, sans fin le réel se dilate et se quitte, sans fin ce qui tient à la pesanteur d’un ici s’expose à l’écart et à l’appel d’un là-bas. » J.C Bailly – L’imagement

Sur le chemin, l’œil est bien là collé au corps, remplissant son office, mais la vision retrace les histoires d’un ailleurs. Voilà qu’un jour, on part au-delà du chemin, on dépasse l’itinéraire, on sort du sentier programmé, on piétine les broussailles, les traces des clapiers, l’empilement de gestes brusques, l’écume de fatigues révolues et l’on se trouve tout étonné de pas l’avoir fait plus tôt, ce pas dans l’imprévu. Qu’est-ce qui nous empêchait de répondre à l’appel de ce plus loin ? Un peu de boue ? Des tas de branches en travers ? Un déficit d’imaginaire ? On se serait mépris sur le sens du commencement, mal mesuré l’incertitude des origines quand soudain la fin nous fait face ? Alors continuer le chemin par-delà l’habitude serait une manière de préciser un flottement initial de la volonté. On pense au visage qu’on n’a pas, à la voix qu’on se cherche encore après tout ce temps. On pense qu’en ce lieu, il y a cinquante ans paissaient des moutons. On dit qu’ici la nature a repris ses droits et son désordre. On entend à peine la voix sourde du vieux François qui, à quatre-vingt et quelques, courait léger après ses bêtes et son destin. On pense à ce bout de soi qui reste là, on pense au vent, à l’illusion d’une vie et aux lilas sur le point de fleurir tandis que rentrent les brebis à l’étable. Sur le chemin, la vision prend alors la place de l’œil et les appels d’un vieux berger après ses chiens errent longtemps à nos oreilles.

« … Partout j’ai vu aussi
Des gens qui dansent ou qui jouent
Quand ils peuvent, et cultivent
Leurs petits lopins de terre
Jamais s’ils arrivent quelque part
Ils ne demandent où ils arrivent
Là où il y a du vin, ils boivent du vin
Où il n’y a pas de vin, ils boivent de l’eau fraîche
Ce sont de bonnes gens
Qui vivent, travaillent
Passent et rêvent
Et qui, un jour, comme les autres,
Reposent sous la terre »