Ce numéro 15 à l’hiver 1996-1997 s’ouvrait sur un ensemble de poème de Daniel Biga. J’en tire un petit trio.

Toute vie est vécue

Un jour est une page
Dans le livre de la vie
qui nous emporte

on a rarement le loisir de s’y arrêter
bien des pages comme des jours
sont sans mot sans souvenir
comme une neige seule sans aucune trace visible
pourtant confusément obscurément vaguement pêle-mêle un peu
pourtant « toute vie est vécue » (écrit Rilke)

*
De la poésie contemporaine

Je t’ai demandé :
– que penses-tu de l’évolution
de la poésie contemporaine en France ?

Tu m’as répondu
« goûte et dis-moi s’il y
a assez
de menthe
dans le taboulé. »

J’ai goûté – j’ai remarqué :
– c’est un peu fade !
« Voilà ! »
as-tu simplement dit.

*
La récré

« Tout n’est qu’âme » disait Trakl

même âgé – donc un peu plus rassis
il supportait encore mal qu’on rit de lui
dans la maladresse de son discours
quand il devait en tenir un
(ce qu’il avait en horreur)
alors que lui-même et depuis toujours
haïssait tout discours

« tiens bon, papa, c’est bientôt la récré ! »

il était une fois un jardin au bord de la rivière
il était une fois une cascade de cris d’oiseaux
il était une fois une merlette au bois
il était une fois une queue d’homme dans ta main
il était une fois l’ombre de ma main sur la feuille
il était une fois un verre de vin d’orange en croquant des amandes…

« tiens bon, papa, c’est bientôt la fin ! »