Dans le numéro 19 (hiver 1998), il y avait comme à chaque numéro une série de citations pour débuter, se mettre en voix, dont ces deux : « Je me sens si fragile que pour un peu j’écrirais des poèmes. » (M.V. Montalban).
« … La poésie est un piège. On y sombre d’une façon si douillette, si ronronnante. Le joli pue. » Paul Valet.

Ça tombe bien, ce numéro était consacré à la nouvelle et autres textes en prose. René Siestrunck y déclinait une liste à la Pérec d’ami(e)s (inconnus) disparu(e)s… « Il a été aperçu pour la dernière fois au bas de son immeuble, mercredi 21 à 17 heures, à bord d’une voiture blanche immatriculée dans le Rhône. Peut-être une Renault. » Slaheddine Haddad évoquait une ville natale : « Dans cette ville soufrée et à l’haleine déployée, les semelles des passants que je croise, portent le goût inscrit de l’ailleurs… ».

Et Gilles Bailly évoquait aussi une ville :
«
Phagocytose
J’aime cette ville de merde. J’aime sa crasse, ses façades ravagées, le découpage agressif de ses rues : murs noirs, couloirs de smog. J’aime cette odeur brumeuse et acide qui brouille les sons, fausse les distances.
Je suis étourdi par autant de mouvement, de désordre dans un décor aussi désespérément statique, inamovible, granitique. Blocs de pierres mortes. Escaliers perdus. Assauts de touffes d’herbe sale. Étourdi par tous ces bruits rugueux, dentelés, acérés. Donne envie de vrombir.
J’aime ces agressions. Je croîs avec elles, elles me prêtent de leur substance.
Lorsque j’arpente ces montées raides, bosselées et que ma nuque s’enserre dans un carcan de froid de stress de rage jubilatoire, je sais que la ville se retranche en moi, y consacre toujours plus de matière. Me minéralise.
C’est comme cela que je la souffre, mandibules crispées, et que je me sens fort en son sein. Gueuse de ville, ton éternité, je le sais, réside dans ton immobile chaos, dans ton refus de devenir. »

Évidemment :