Nous sommes des marécages d’Hortense Raynal
Maelström reevolution
https://www.maelstromreevolution.org/catalogue/item/822-nous-sommes-des-marecages

Commençons par ce « nous », ce lien, cette ficelle. On partage l’espace, nos lieux sont du commun. On vit comme ça sur une ligne, des segments, des questions. Sommes-nous assez attentifs ? Savons-nous aimer ? Quel partage de baisers possibles ? Est-ce que nous ? Sommes-nous assez mélangés ? Entre l’ici et l’ailleurs ? On façonne des paysages, des petits villages avec leurs bistrots, leurs fontaines et leurs habitants. On porte tout ça en nous avec aussi les animaux dans les prés et les marécages dans des coins où l’on va parfois faire des ricochets avec les dés de la mémoire, tirer les cartes d’un tarot plein de souvenirs. Nous sommes des cartes en poésie, pour que les autres se repèrent en nous. « J’ai un biotope microscopique coincé dans un coin de l’œil, / à te donner mon ami. » Voilà, et une fois qu’on a façonné, et bien on défaçonne pour voir comment c’est foutu un paysage, un désir, une demeure, nos bicoques, nos multiples histoires croisées. Les lieux savent des choses que nous ignorons, ou avons oubliées. Ils gardent des personnages que nous avons connus, ils gardent notre corps qui contient les personnages. Le cerisier est au courant. On est aussi ce cerisier sous lequel les familles discutent le dimanche à l’ombre des travaux de la semaine, du foin coupé, du bois qu’il faut rentrer. « En écoutant les lieux je me suis faite lieu / à force d’écouter le pays je me suis faite pays. »
Puis vient ce qu’on peut nommer amour, on s’y risque parfois, la barre rocheuse à grimper, les fringues à déplanter de nos peaux, d’autres fruits à faire pousser, des traces à retrouver, ne pas les perdre, suivre, pister, passage délicat, jusqu’à perdre frontières. Ça circule. Le réseau routier est complexe, insondable, innommable. On questionne. « (Mais est-ce que c’est pas un peu de silence, les questions ?) » On risque de se perdre, rien de grave. On vit dehors, exposés aux erreurs d’appréciation, jetés sur les chemins avec les chiens qu’aucune carte ne retient. « Qu’est-ce qu’on dit / quand on dit chemin ? / on dit l’avenir ou / on cherche encore sa route ? »
Bref pour mettre un peu de sel dans la pâte de nos errances, lisons Hortense Raynal.