Et les gens continuent de tomber avec la nuit d’Heptane Fraxion, aérolithe éditions
https://aerolitheeditions.blogspot.com/2019/06/publication-n2.html

J’aime bien les titres. Je trouve ça important les titres. Celui-là il a deux noms gens et nuit et deux verbes continuent et tomber. On peut jouer à mélanger tout ça, les gens ils se mélangent et la nuit ne tombe pas d’un seul coup « La nuit continue de tomber avec les gens » ou « en tombant, les gens continuent la nuit ». Donc il y a des trucs qui tombent sans arrêt et il fait nuit. Tout ça est très cadré. Prenons Fred (version mec), il n’aime pas les machins connectés contrairement à sa femme qui continue de rester avec lui car avec lui l’oseille tombe. Et Fred (version meuf), elle est fragile psychologiquement, parfois elle se fait une soirée hôtel cachetons champagne et continue de rêver sa grande histoire d’amour qui finira bien par tomber. Faudrait s’arrêter sur les sens du mot tomber mais faut aussi continuer. Fabienne est là, petite vie de fille simple, pas très fu-fute qui dit « bonne continuation », une vie purée steak haché, c’est mou, se cherche un mari, bonne chance Fabienne. Julie je l’aime bien car elle ne comprend pas qu’on dénigre la culture des pauvres, je suis d’accord avec Julie. Ils sont balafrés les gens de Fraxion comme nous mais on le voit moins chez nous, « c’est rien / c’est la vie /…/ une spectaculaire enfilade de journées / des journées qui n’accrochent pas du tout la lumière / des journées comme des salles d’attente ». Ils sont dans un temps suspendu les gens, le temps file sans eux. Ils restent collés à leur matérialité profonde, l’idée de voyage c’est dans la tête, les contingences matérielles c’est autour de la chair, la barbaque. Ils sont bancals les gens. Prenez Patrick par exemple, il « ne dit jamais bonjour / et quand quelqu’un lui dit bonjour / il répond / on va dire ça ». Il a des chats qui n’ont pas de noms, ils s’appellent chat. Ils ont une logique bien à eux les gens, solide en un sens, le leur. Ils sont ailleurs, à la dérive ou perchés sur la branche flexible de leurs rêves vacillants, les mains bien plongées dans l’eau grasse d’un quotidien vaporeux. Djamel en djellaba, il parle tout seul, il n’est pas content et Norbert à 52 ans dégotte enfin un écho de sagesse au rabais. On sait pas trop quoi en penser de ces gens, on hésite « poche ou sac / coffre ou malle / chocolatine ou pain au chocolat / au bout d’un moment / on ne juge plus les gens sur leur accent hein / mais sur leurs actes / nos actes / on n’est que ça ». Le problème c’est qu’on ne sait pas non plus quoi penser de leurs actes alors on arrête de penser. On les regarde les gens. Faut les prendre comme ils sont. On termine sa bière et on se tait « Parler parfois fait tout pourrir ».