Je me souviens ce soir d’Ingrid Naour, des revues qu’elle dirigeait avec Pierre Drachline, ces trois numéros de la revue « Faire-part » publiés au début des années 80 que j’ai lus et relus comme on revient au port des origines, de ce désir de faire quelque chose qui pourrait ressembler à ça. On y lisait Léo Ferré, Jean-Claude Pirotte, André Frédérique, Maurice Blanchard, André Laude, Jean-Pierre Begot ou Patrice Repusseau…

La prose d’Ingrid Naour était tellement désespérée que je ne pouvais que l’imaginer morte. Pourtant, il y trois ou quatre ans je suis tombé sur un bouquin d’elle en chinant pour la bouquinerie, « Le bar des menteurs, éd. Le Cherche midi ». Dans un bar de Noirmoutier, elle restitue Les voix fortes, les éclats de rires fraternels ou presque,  la gouaille populaire de ces « marins du zinc, rêveurs définitifs, inactifs surmenés, grandes gueules au verbe haut et au cœur tendre » qui noient dans l’ivresse une irréparable fêlure.

« Mon enfance est une tumeur inopérable. Elle fait écran entre moi et le bonheur. Ma disparition sera son tombeau. Mais je ne suis pas pressée. J’ai pris goût à ces petits sursis que m’accordent ceux qui me font la grâce de m’aimer telle que je suis. Lestée d’angoisses et d’incertitudes. »

« La réalité, c’est comme la morale. C’est toujours celle des plus nombreux qu’on veut t’imposer. »

J’ai pensé en lisant ce bar des menteurs à cette évocation du poète André Laude (« Un poète, un lieu de haute solitude ») dans les compagnons du verre à soif  de François Vigne, aussi aux éditions du Cherche-midi que dirigeait Drachline, le compagnon de Naour. François Vigne qui écrivit : « Écrire c’est une façon d’aller au rendez-vous de la mélancolie ».

Et qui se souvient de Stephan Reggiani suicidé à 34 ans, le fils de Serge qui dira à son enterrement « le vrai chanteur dans la famille, c’était toi ». Le bar des menteurs n’est pas loin dans la déprime de ce rigolo.