Il a suffi de 2 pages dans le numéro 195 de la revue Décharge pour j’ai eu envie de me replonger dans l’écriture de cet auteur que j’ai un peu perdu de vue. Du temps de la revue Gros Textes, j’avais publié en 2001 des récits de vie rassemblés sous le titre « Quelque part, un arc-en-ciel ». Il était apparu 4 ans auparavant dans le numéro 17 de la revue avec ce genre de textes : « Métro / Assis dans un coin, tassé sur lui-même, un vieillard crache, son reflet déchiré sur la vitre, par petits nuages une salive qui se déchire aux épines de roses qu’il tient tête en bas, où a afflué tout le sang. »
Ici la couleur c’est le gris, le gris éternel d’un ciel de pluie, d’un ciel moite comme le reste, c’est sans fin la banlieue poisseuse, le triste qui règne sans partage, les pavillons alignés à la périphérie de la vie, c’est le ticket de tiercé perdant jeté résigné sur le trottoir visqueux.
L’univers d’Alain Guillard, c’est celui des pauvres, pas des miséreux non, des juste pauvres avec, dans la brume des jours identiques, un filament d’espoir auquel on fait semblant de croire. C’est un univers de frigidaires et de limonades, de corbeaux sur champs de neige, de vieilles tantes auxquelles on va rendre visite le dimanche, de toile cirée à carreaux avec le litre de vin, la cafetière et les serviettes de table pliées dans leurs ronds en bois. Ce sont des volailles qu’on égorge pour les ripailles de fête, des fleurs en plastique sur la cheminée ou le poste de télé, des parents qui se déchirent par ennui plus que méchanceté tandis que les enfants sucent leurs pouces, des familles aux lourds secrets dérisoires. C’est le monde des humiliés qui font tout ce qu’ils peuvent pour garder la tête hors de l’eau, respirer encore un peu, monter les marches de la détresse d’un air qu’on voudrait dégagé. Ça sent la peau humaine et le parfum bon marché, l’eau de Cologne de monoprix, les vieux avec leurs chats et leurs chiens pour seule béquille avant le grand saut.
Dans ce monde d’images, positives toujours, de jeunes battants au rire éclatant, propres et rigolards, brillant de toute leur réussite, avec la bonne humeur obligatoire, humour omniprésent en bandoulière, qui dira combien ce contrepoint de brisures accumulées fait un bien fou à notre humanité ?