« ici, la peinture s’écaille, le temps vient corriger le travail de l’homme qui s’obstine à recouvrir le réel, à masquer l’aspect des objets. où se trouve la beauté ? ce ne sont que des choses plus ou moins belles. ainsi ces fragments de réel griffés par l’outil, abîmés par les intempéries… on voit quelques anciennes traces et l’on reste persuadé que tout est occulté, dissimulé. et viendra le moment de repasser une couche pour uniformiser l’apparence : tout sera alors pour le mieux dans le meilleur des mondes insupportables ! que vienne le temps des éclats rouges ! » (Lucien Wasselin)

Je ne me souviens pas de Lucien Wasselin. Nous ne nous sommes jamais rencontrés. Il est pourtant passé quelques fois et dès le milieu des années 90, discrètement, dans les pages de la revue Gros Textes. Je ne me souviens pas de ses fragments du manque publié à la fin des années 80 au dé bleu (ah quel éditeur quand même, c’est quand ils ne sont plus, que…), ni de
la rage, ses abords paru plus tard: « me voilà planté comme un pantin, un épouvantail et je divague ; ma pensée bat la campagne. quand je mourrai, je n’aurai même pas besoin d’une acre de glèbe. on me brûlera et la terre m’oubliera. en attendant, l’ombre d’un ami traverse le paysage. »

Ce matin, un mail de Claude Vercey m’apprenait son décès. Je ne me souviens pas que dans ses poèmes, il n’y avait pas de majuscules. En 2019, Gros Textes publiait « lieux, villégiatures, souvenirs & autres instantanés ». Je ne me souviens pas si c’est lui ou moi qui a choisi ce poèmes pour la quatrième de couverture:
« me voici arrivé à l’âge où, regardant des films vieux d’une vingtaine d’années, je me dis que les acteurs ont pris un coup de vieux. et je ne vois pas que le film a, lui aussi, vieilli… et quand je me regarde dans le miroir, je constate que mes cheveux s’en sont allés, que mes dents se déchaussent et que mes joues pendent (lamentablement ! comme si elles pouvaient pendre
fièrement). et je me dis alors que tout est dans l’ordre des choses. et je me révolte. »