C’est une histoire qui commence à peine, des senteurs de forêt, de mousse et de bois, ce sont des événements banals. On a juste le temps de dresser la table que l’on pressent déjà l’issue, à peine le temps de nous ébrouer, d’effleurer du bout du doigt un morceau de ciel, un carré de nuit, et nous nous roulons en boule à même le pré. À travers une brume tenace, on subodore vaguement qu’une parole pourrait nous sauver, qu’il faudrait trouver le premier mot, la première syllabe pour qu’ensuite tout aille bien.
Cette année encore j’irai chercher des framboises toujours à cet endroit nommé « belle aiguette » où, petit, m’amenait ma mère, chacun notre panier d’osier au bras dans la dérive des étés. On disait bien fort : « elles sont belles ! », on disait : « il y en a beaucoup… regarde ce coin !… », et les moirures d’un bonheur émerveillé nichaient dans nos gestes.
Cette année encore j’irai cueillir des framboises, respirer leur odeur sur mes doigts et voir le panier d’osier lentement se remplir de ces fruits comme autant de signes d’un poème limpide et mystérieux. Levant les yeux vers les montagnes, les grands épicéas, je reverrai, comme chaque fois, mon enfance entre les nuages et les pots de confitures. Et à mes pieds, dans la clairière où coule un filet d’eau fraîche, renaîtra ce sentiment de plénitude et de nostalgie, la douceur d’une bonne petite eau que nous buvions au creux de nos mains.

« Je t’offre un verre d’eau glacée
N’y touche pas distraitement
Il est le prix d’une pensée
Sans ornement

Tous les plaisirs de l’amitié
Combien cette eau me désaltère
Je t’en propose une moitié
La plus légère… »
                                      (Odilon-Jean PÉRIER)