En passant devant sa maison, je me souviens du vieux voisin mort depuis une dizaine d’années. Je le revois assis nonchalant de longs après-midis au milieu des escaliers extérieurs qui montaient à sa chambre ou sur un banc à l’ombre d’un cerisier, un arbre aujourd’hui malade, presque mort, de vieillesse lui aussi.

Si je disais en revenant de balade que j’arrivais des « demoiselles coiffées »(1), je l’entends encore qui me lançait avec un éclat de rire et une connivence coquine : « et tu leur as bien fait la bise au moins ? » et je riais avec lui pour lui faire plaisir et probablement pour autre chose encore.

Je revois la lenteur de ses pas et de ses gestes, roulant perpétuellement une cigarette de tabac gris ou se versant un sempiternel verre de vin clairet. Il semblait ignorer l’idée même de vitesse, vécu longtemps entre ses champs et son banc sous un cerisier. Il donnait l’impression de n’avoir rien d’autre à faire qu’attendre patiemment comme il disait « l’heure de la soupe » qui viendra juste en son temps comme la bise aux demoiselles.

« C’est une belle innocence
Qui pousse l’homme à regarder
La pluie enfanter la semence
Et la nature l’étonner
Depuis tant et tant d’années
Au même rythme obstinément
La terre qui a tant donné
Apprend à vivre lentement »


[1] Ou cheminées de fées