La condamnation du soleil couchant
C’est la cigarette qu’on allume sur le quai.
C’est toujours la dernière, une lame ébréchée.
C’est elle qui garde le monde en équilibre
avec ses jours, ses nuits, les départs, les destins,
toutes les phrases creuses auxquelles on se raccroche,
les drapeaux, la fumée, l’endroit où l’on retrouve
ce silence d’étang calme (on devrait se taire)
qui monte comme brume au sortir du tableau.
On regarde défiler les détails de l’instant,
les doigts qui se tordent, le cœur qui se trouble,
les pieds qui battent un rythme tout de travers
pour simuler à l’autre un semblant de présence.
On se résigne à l’inutile, au dérisoire,
à la main tremblotante qui remet à sa place
la mèche de cheveux qui n’avait pas bougé.
C’est le temps du goutte à goute des mots mort-nés.
Le soleil s’est couché, la musique s’est tue
et le regard va se poser où il n’avait
strictement aucune raison d’aller mourir,
la feuille qui tombe lentement sur le sol.
On finit sa clope, on sait que c’est la dernière,
on la jette en un geste bien trop solennel,
pichenette de théâtre, puis l’on s’en va
se vêtir encore de ses rêves, ses griffures.