Le feuillage du monde de Léon Bralda, linogravures de Pierre Jourde.
Les éditions du Petit Pois, collection correspondances
https://www.leseditionsdupetitpois.fr/le-feuillage-du-monde

C’est un visage qui cherche un autre visage, des ramures de miroir, un reflet de saule sur l’étang. C’est une histoire d’arbres et de voix, de corps approximatifs. Corps et écorces se nourrissent mutuellement dans un recueillement silencieux. Le temps s’écoule là, craque comme branche, parfois un corps s’affaisse, glisse vers l’eau courante, les souvenirs, un corps nu, sans artifices, humble et délicat avec son besoin de l’autre ou d’une aube qu’il ose à peine réclamer, avec ce chagrin aussi parfois, les nuits blanches qui labourent le cœur. Il sait pourtant que s’ouvrent des chemins avec leurs flaques et leurs ciels, leurs nuages coulés dans la glaise. C’est l’éclat de ce visage toujours imaginé, nous sommes mal armés pour le réel, allongés dans l’herbe, « fouillant le songe des racines ». Nous frayons avec les ombres qui fécondent nos traces. C’est un chien qui hurle à la mort, c’est le plus beau chant du vent et de la lune mêlés. C’est une femme couchée dans le trèfle qui frissonne, et nous sans voix comme pierre creuse, obstinés à élaborer une sève de lumière avec nos éclats de verre. On s’exerce à « laisser venir à soi le feuillage du monde ». On composte nos paroles, le miraculeux terreau de notre humanité, le lieu où l’on se dresse pour dire l’opaque dérive. C’est l’homme qui doute de sa nuit, de toutes ses nuits entassées en désordre dans les heures closes des rêves. C’est l’arbre, compagnon de modestes conquêtes, « qui penche vers les feux lents d’une promesse ». C’est « un arbre seulement, au feuillage / de cendre, portant jusqu’au / lointain les croyances du jour. / Un enfant qui revient et taille / dans l’écorce un amour insensé ». Oui l’enfant revient toujours en nous, c’est bien connu, dans cet envers de vivre tendu vers l’horizon qui s’embrume à son regard, bien qu’il fasse si doux auprès du feu. « Les arbres s’en souviennent : sur le / vitrail des nuits, on entend battre / les écorces, et la forêt scintille / comme un ciel étoilé. »
C’est un jardin avec un arbre jamais taillé qui fragmente le ciel et nos vies étriquées qui se redressent comme elles peuvent pour témoigner de n’importe quoi, la nostalgie de l’oiseau ou le retour de la pluie… Et…

« Il y avait le vent aussi qui froissait
la lumière à la face du lac.
On entendait battre le pouls de tout
un peuple mort quand la nuit
s’étendait sur les silhouettes d’arbre.

Et lentement, très lentement, des
figures à l’agonie rognaient l’instant
superbe de l’imagination. »