C’est un jour pour ranger le bois, empiler les bûches contre le mur, refaire les gestes égarés dans une langue qui tressaute et ponctue calmement les marées des saisons. Tu penses aux arbres et à ta vie, aux bourgeons et au bonheur.

Et si ta vie avait commencé avec un arbre ? Je veux dire le jour où, gamin, tu as décidé de grimper sur un arbre, le plus haut possible, les yeux largement ouverts. Cet arbre tu le portais, il habitait en toi depuis longtemps. Alors tu as touché la première branche, la plus docile, tendu le bras, levé la jambe, hissé le corps et ce fut comme un envol. Tu fus celui qui s’élève et que l’altitude enivre, celui qui se prend de vertige à ne plus vouloir ni pouvoir s’arrêter de s’élever jusqu’à l’ultime brindille qui ploie, la menace qui surgit comme une évidence soudaine et pour la première fois tu as compris que tu n’irais pas plus loin, que tu venais de toucher la frontière du raisonnable et de la folie. Tu es seul en bout de piste, le monde semble déjà plus petit à tes pieds. Tu domines le vide et la soif, le soleil brille dans un coin de ton œil. Un grand silence mange le monde et ses ombres. Tu es seul et tu respires les particules d’un futur ouvert à tous les vents. Tu respires les gens, les animaux, les objets et les instants. Tu es seul, une légère crainte effleure ta joue tandis que le vent agite les branches et fait circuler en toi les gens, les animaux, les objets et les instants dans l’étonnant tourbillon des désirs de vivants.

« À force de mélancolie
On peut apprendre le désert
Ne pas regretter ses folies
Et cultiver ses arbres verts »