Cher ami de FB,
Nous sommes dimanche 21 janvier. Je reviens de manif contre la loi « asile et immigration » de Darmanin, très belle manif à Gap, joyeuse, chantante, gueulante, rappelant quelques principes fondamentaux des différentes déclarations des droits de l’homme que notre pays foule aux pieds…, et je vois sur ma page FB que tu me pries, du fait que j’ai signé une tribune que tu n’apprécies pas, de te retirer de ma liste d’amis.
Je te trouve gonflé.
En fait ta prière m’interroge d’abord sur la nature de ce réseau qu’on dit « social » où je vais rarement et n’interviens quasiment jamais plus. Voilà donc un gars, toi en l’occurrence, qui il y a quelques années me demande d’être son copain, j’accepte, et du simple fait que je signe un papier qui lui déplait, sans chercher à connaître les raisons pour lesquelles je l’ai signé, me dit, t’as signé, t’es pus mon copain, on joue plus ensemble, va-t’en…
Je ne sais pas si tu es conscient du niveau de régression et d’infantilisation où nous conduit FB si nous n’y prenons pas garde. À l’immaturité s’ajoute la paresse (Attention ce n’est pas ta faute, mais de celle de Zuckerberg). Et oui mon gars, si tu ne veux plus que les signataires de la tribune Tesson restent tes amis, tu prends la liste de tes amis d’un côté et les signataires de l’autre et tu barres et assumes.
Deux mots quand même sur le fond de l’affaire.
Beaucoup ont déjà été dit.
Les raisons de signer ou pas cette tribune sont multiples et parfois contradictoires.
Il me semble que les signataires ne reprochent pas à Tesson d’écrire des livres qui se vendent, que certain(e)s d’entre nous peuvent d’ailleurs trouver réussis, et dont on peut apprécier parfois le style. Personne n’a envie que Tesson arrête d’écrire et de publier et d’avoir du succès. On s’en fout. Le problème n’est pas là. Ce que nous contestons c’est le parrainage d’une manifestation nationale autour de la poésie (je me moque pour ma part qu’il ait écrit ou non des poèmes, il parle souvent assez bien de poésie) par un personnage qui appartient, et c’est plutôt bien documenté aujourd’hui, à ce que nous les wokistes (ça a l’air de faire plaisir à beaucoup de nous définir ainsi, j’assume!) appelons la fachosphère intellectuelle (un point partout, on peut discuter le lexique). On entend par là ces artistes qui distillent plus ou moins discrètement dans leurs œuvres, leurs entretiens, leur environnement relationnel, des propos racistes, xénophobes, colonialistes, ultra réactionnaires, intégristes catho… protégé par l’alibi artistique que leur confère leur statut d’artiste.
Oui bien des propos de Tesson transpirent la haine de l’islam, du musulman, mais aussi le mépris pour les gens
qui luttent comme les gilets jaunes. Ainsi lorsqu’il déclare : « D’où vient le problème de l’atteinte à la laïcité, sinon des musulmans? On le dit ça? Moi je le dis » ou lorsqu’il nomme « mahométans » sans nuances les différents peuples arabes. Imaginez les réactions si un député utilisait le même lexique.
On peut également être exaspéré par le bobo littéraire qui fait du trekking partout sur la planète et la morale à l’adresse de manifestants qui luttent pour une vie digne ici : « Regardez l’Etat providence en France comme il marche bien en cette période de crise pandémique du Covid19. Quelle chance vous avez ! Taisez-vous donc ! ». Exactement ce que disent les défenseurs de Tesson qui nous traitent de cafards et dénient aux gens qui ne sont pas connus de contester, pour parrainer un événement national, le choix d’un écrivain qui s’inscrit clairement
dans une tradition littéraire que Vincent Berthelier (auteur de « le style réactionnaire ») appelle « fascisme à la
française »…
On pourrait aussi évoquer son admiration indéfectible pour le pédo criminel Matzneff… On pourrait…
Cher ami de FB, une démocratie est une société divisée et traversée de contradictions où les wokistes et les fascistes à la française doivent vivre ensemble. Dénoncer les idées qui nous semblent contraires aux grands principes fondamentaux des droits de l’homme (de l’être humain et du vivant) me semble nécessaire. Je suppose que toi aussi. On peut mal se comprendre. Tu peux me chasser. Moi je t’inviterais volontiers puisque nous avons été amis (certes chez Zuckerberg, ça veut rien dire mais je rêve) à discuter autour d’un verre chez moi sous le cerisier où de nombreux auteurs(trices) sont passés. On lira Tesson. Nous ne serons certainement souvent pas d’accord. On s’engueulera peut-être. Je t’emmènerai, si tu veux, au refuge à Briançon, c’est à une quarantaine de km de chez moi près de la frontière italienne, où des humains tentent d’accueillir au mieux tous les jours d’autres humains qui ont voyagé, mais pas vraiment comme Tesson, souffert, risqué leur vie, vécu souvent des enfers pour fuir d’autres enfers et que accueillons de plus en plus mal quand jamais autant de richesses n’ont été distribuées aux plus privilégiés d’entre nous, et qu’une loi inhumaine prête à être votée si nous n’agissons pas efficacement condamnera à encore plus de souffrance et salira encore plus notre humanité, cette humanité que maltraite Tesson malgré son grand style et ses ventes.
J’aimerais vraiment qu’on aille ensemble écouter des récits de voyages de pauvres gens, qu’on contemple ensemble leurs visages, qu’on respire un moment le même air qu’eux, sous les montagnes. Et j’aimerais aussi que les poètes s’engagent pour combattre les lois immigrations scélérates et ce ventre plus que jamais fécond d’où a surgit la bête immonde. Oui ça s’appelle faire de la politique. Désolé pour celles et ceux que ça choque…