Un chien abandonné en juillet court, affolé, en bord de route. C’est la nuit. On voudrait s’arrêter mais on ne le fait pas. Où la mettre cette bête ? La voiture est pleine. On laisse à son sort le chien abandonné. C’est triste. Un enfant promène un camion de bois au bout d’une ficelle qui pend… du paradis. C’est Marcel Migozzi qui a ajouté du paradis. C’est à cause de ça que Marcel Migozzi est un grand poète qui mérite le paradis. Sa poésie est chargée de petits camions. On a toujours plein de trucs à transporter au dépotoir, des bouts de bois, de vieux pneus, des bols et des soupières cassées, des trucs de pauvres. On se souvient d’où on vient. On sait où on va. On écrit et parfois on oublie alors : « On n’écrit pas / et / C’est trop tard ».
C’est un paquet de déchets, des mégots, des capsules de bières, c’est ça nos vies d’ouvriers, les marchés discount et les cages d’escalier, et c’est là-dedans qu’on vit et qu’on se fait du chaud parce que faut bien vivre, le mouton qui mijote, des sourires, on partage le pain, la joie qui surnage coûte que coûte, le tambour qui bat la cadence des révoltes, quelque chose qui vient de loin, les quatre vérités des graffitis, c’est ça la poésie de Migozzi et l’espoir qui vient trouer les nouvelles du journal.
Le poème est là aussi avec ses mains de femme, quelque chose d’inoubliable comme un cri, comme un corps, la rencontre nichée sur de vieux sentiments. On se souvient. « Et les derniers coquelicots vont droit au cœur. » (oui droit au cœur). Il faudrait dire aussi les grands bidons au bord des jardins ouvriers, les tiges frêles des tomates, on voyait le monde en rouge à l’époque… pas vrai ? Le poulailler est abandonné, le passé n’est pas tendre avec les souvenirs mais nous restons fidèles aux origines :
Gloire à l’ancienne cuisine aux soupes
De pommes de terre, au placard ouvert
Sur le peu essentiel de bouche,
À la flûte de pain ouvrier, merci,
À ce fruit rouge, rien qu’un seul,
À l’étagère alourdie du seul livre
De la maison, dico de poche,
Au lavoir puits figuier, trinité des mois chauds,
Au cabanon, bois et charbon, et gloire aussi
À la vie, la présente, engrossée par l’enfance
(fidélité aux origines)
Marcel Migozzi (1936-2024)
Cité aux entrailles sans fruits,
éd Gros Textes
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