J’aime bien écrire au retour de manif. J’étais à ce rassemblement contre l’extrême-droite, dimanche à Briançon. J’essaie toujours de vivre les manifs comme des moments de fête, l’espérance des lendemains de Rutebeuf que nous fit connaître Léo Ferré. « Que sont mes amis devenus… Ils ont été trop clairsemés… ». Mes pensées du moment le sont aussi. Clairsemé est un joli mot je trouve. Une amie me dit qu’elle se réveille la nuit et qu’elle pleure. L’arrivée possible de l’extrême droite au pouvoir réveille chez elle de vieilles angoisses. Bien maladroitement, j’essaie de lui dire que nous devons garder la joie, le rayonnement, la confiance d’être dans l’humain le plus juste, tandis que les gens d’en face tirent la gueule, les tristes sires, nous on danse, on chante, on rit. Je me dis régulièrement qu’il faudrait quand même que j’apprenne un jour par cœur les paroles de Bella Ciao, de L’estaque (au moins la version française par Marc Robine), d’El pueblo unido ou encore on lâche rien. En attendant je gueule les refrains à tue tête en tapant dans les mains ou levant le poing et je suis content…
« Malheur à la ville dont le prince est un enfant » est le titre d’un livre récent du sociologue Jean-François Bayart. C’est une expression empruntée au livre de l’ecclésiaste dans la bible. Rappeler à quel point ils me dégoûtent ces bourgeois de droite qui parlent de civilisation chrétienne tout en distillant leur haine et leur intolérance envers les plus faibles, les chômeurs, les pauvres, les migrants… J’aime imaginer le Christ anarchiste pourfendant cette clique de pourris comme il pourfendait les marchands du temple. Relisons les évangiles, surtout les apocryphes.
Il ne faut pas confondre l’effet est la cause. « Macron est quelqu’un qui n’est pas fini intellectuellement et psychologiquement, qui a une sensibilité d’extrême droite avec un virilisme masculiniste imbécile qui s’exprime chez lui en permanence et l’amène à jouer au petit soldat qui a une fascination immature pour la violence » (Johan Chapoutot). La cause du fascisme frappant à la porte est à chercher du côté des politiques libérales qui maltraitent, humilient, violentent les plus faibles, les chômeurs, les pauvres, les migrants… Comme ces derniers pourraient ne pas se laisser maltraiter ainsi sans réagir, la bourgeoisie, pour préserver ses privilèges, s’accommode volontiers d’un pouvoir autoritaire, de plus en plus autoritaire, répressif, violent, fascisant.
Le problème du politique c’est de définir les moyens de vivre ensemble, de nous supporter à travers et avec nos singularités ; pour nous de gauche extrême, supporter le voisin, brave type au demeurant, qui vote facho et que nos poèmes font souffrir parce qu’il ne les comprend pas. À force de mépris subi, d’uniformisation esthétique provoquée par la marchandisation de tous les aspects de nos existences, beaucoup de gens ne s’aiment pas, ne se singularisent plus. L’amour propre que rend possible la singularité est à l’origine de l’amour des autres, de la tolérance envers les différences. Comment parler à mon voisin, brave type au demeurant, qui ne vote pas comme moi ? moi qui me pense plus intelligent, plus proche de la vérité.
Le dispositif électoral élaboré et entretenu par la bourgeoisie ne sert que les intérêts de cette classe, les légitime et nous condamne à l’impuissance si nous ne parvenons pas à définir d’autres horizons que ce rituel qu’on nous vend comme l’alpha et l’oméga de la Démocratie. Je vais rarement voter et les « tu fais le jeu de…, y’en a qui sont morts pour…, après tu ne pourras pas râler… et gnagnagna» me font profondément chier comme si toute une lignée de pensées et d’analyses libertaires autrement percutantes que ces péroraisons de perroquets n’avait plus cours. Les pauvres, les loulous des banlieues, les laissés pour compte, les abandonnés ont bien compris que, pour eux, il n’y avait rien ou pas grand-chose à attendre de ce jeu de dupe où ils sont toujours perdants. Lisez « Comment s’occuper un dimanche d’élection » de François Bégaudeau.
Mais quand ce jeu à la con risque de finaliser le glissement fasciste dont le taré immature évoqué dessus ne nous a donné qu’un avant-goût avec la bénédiction de la classe qu’il sert, là je dirais à mes copains et copines anars qu’un petit tour dans l’isoloir pourrait avoir une légère utilité. Oui c’est sûr on va devoir se manger une grosse tartine de merde pour reprendre le langage imagé et précis de Frédéric Lordon (allez voir son blog), mais comme l’épée de Damoclès du pire est pile sur nos tronches, on se lavera la bouche après.
Alors oui je crois que l’anti électoralisme ne doit pas partager le même fétichisme que celui de « la Démocratie, c’est les élections », et qu’il faut consentir parfois à aller s’isoler dans l’isoloir même avec ce sentiment honteux de choisir son maître (bien que le pouvoir de celles et ceux qu’on élit est bien factice et que les lieux réels de puissance ne résident pas au bout de bulletins de voix). Pour ma part je ne pense pas pouvoir choisir entre un fascisateur et un fasciste (la cause et l’effet toujours…). Reste le Front Populaire, ça sonne bien. Ça sent le congé payé, la joie de voir la mer à bicyclette, les sourires des prolos à casquettes. On se rappelle que ce sont surtout les grands mouvements de grève qui ont permis les avancées de cette époque qui ont tant mis colère et rage le bourgeois (plutôt Hitler que Blum, lui au moins il sait s’y prendre avec la racaille syndicale et avec lui on peut faire de juteuses affaires. Car oui ils étaient comme ça les copains des Macron de l’époque et je ne vois pas pourquoi ils auraient changé). On peut toujours miser sur la rue et organiser une suite à la 36 qui sait ? Entre le pas grand-chose des maigres promesses et l’enfer programmé, j’ai pas de conseil à donner mais…
Sous ma maison, les brebis ont passé la semaine, peinardes semblaient-elles, à paître la bonne herbe bien drue du printemps pluvieux. J’aimais bien les regarder le matin. Le berger les a changées de pâture. Reste leur odeur de fumier et de foin, une odeur qui vient de loin, qui revient toujours…