C’est comme un petit théâtre,
ce pré où l’on plante nos trois tentes
au bord d’un torrent dans la douce chaleur
d’un début d’été, de promesses,
toujours les mêmes, passer l’été,
le bois sec qu’on va chercher aux environs,
qu’on coupe et qu’on entasse comme un trésor,
un petit théâtre avec son foyer
pour le feu de camp autour duquel
on ira tourner comme des indiens
après avoir fait cuire des saucisses,
des merguez, des poivrons, des tomates
et des patates dans leur papier alu,
un pauvre théâtre de familles pauvres
les chamallow grillés sur les flammes
et le caramel marron qui durcit
autour de la guimauve tendre et collante
sur les lèvres, les joues et même les cheveux,
les oiseaux qui piaillent comme des furieux,
le bruit de l’eau qui n’a point de cesse
et les miettes d’amour qu’on repère à peine,
qu’on laisse trainer pour les bêtes,
c’est comme un petit théâtre
où les mots, les dialogues, les réparties
ont bien peu d’importance.
*
Sous le tas de pierres d’un clapier, j’aperçois un écriteau mangé par la rouille et le lierre, illisible. Il y avait peut-être quelque chose de très important écrit dessus ; ne saurai jamais quoi.
*
On voyait la poussière que soulevaient les cavaliers au loin, le soleil irisait les pierres comme un pinceau malade, on entendait grouiller les forêts quand les arbres se frottent et craquent, et la poussière ne retombait pas. Pourtant, des rides ont fait des traits sur nos fronts depuis le temps et nos yeux sont vieux et nos mains aussi.
*
J’ouvre des parenthèses en pagaille mais je n’ai pas la moindre idée de ce que je peux mettre entre aucune d’elle. Alors, je ne les referme pas.
*
On ne peut pas se méfier de tout
Rien ne se perd. En est-on sûr ?
Ceci nous a été donné. On ne nous le reprendra pas.
Ces moments dans nos bras quand
le soleil passe derrière les cimes et nous
au sortir de l’eau, un peu transis, heureux aussi.
S’attarder sur le dessin d’un visage,
les courbes de la bouche,
les paroles sans importance,
ces tombereaux de beautés tant provisoires
que nos mains en restent coites
comme des truites quand l’hameçon
les surprend en pleine rêverie
d’écume, d’impatience
et de calculs approximatifs.
*
Les enfants, on les avait pris
Tenant du pain devant des poules
combatives.
Aujourd’hui les enfants s’éloignent.
La photo a vieilli, jaunâtre.
Seules les poules sont restées
Fidèles au pain dur d’autrefois
Émietté dans notre passé.
Quant aux corps des enfants, détachés
De ce temps, ils reviennent parfois,
Mais sur papier glacé.
(vieille photo)
Marcel Migozzi, « L’heure qui chasse », Gros Textes, 2014
*
Ce n’est pas notre monde, c’est un leurre, on s’y fait…