« Les invisibles » de Richard Taillefer, éd. Gros Textes
https://grostextes.fr/publication/les-invisibles/

C’est grâce à Marion Lafage, qui anima entre 2017 et 2020 la collection « la Petite Porte » chez Gros Textes, que j’ai croisé Richard Taillefer. Maintenant que les éditions filent vers leurs 33 ans, je regarde plus souvent dans le rétroviseur et me dis que cette aventure est une bénédiction pour m’avoir permis de croiser des individus comme lui ou comme Robert Momeux, des invisibles flamboyants.
Je suis friand de cette poésie qui fait peu de bruit, ne cherche pas l’effet, ne prend pas la pose, se fout de la modernité, qui déroule juste les petites choses de la vie, les joies et les peines, les humiliations, les beautés du caniveau, les éclats d’un passé qu’on retient comme un ami après le gueuleton.
Pour commencer, ne pas désirer grand-chose si ce n’est l’impossible. Mettre les sens en éveil, convoquer la mélancolie des sourires et toutes formes de bonheurs en riant de ses maux et malheurs, de ses égarement, ou rire tout seul tard dans la nuit près d’une machine à sous accoudé au comptoir comme chantait Ferré, « Richard, ça va ? », dans l’ivresse d’exister. On va ainsi clopin-clopant, rêvant des pins de l’enfance, de la tonnelle aux glycines, des calanques en bout de ville, l’odeur du romarin, on refait le chemin, je suis passé ici, une ombre sur  le rocher en témoigne, un vieux chien se souvient, un banc sous les platanes, quelques amours d’autrefois qu’on effleure du bout des dents, des amis pour taper dans les mains au rythme des chansonnettes, regarder ensemble tomber le soir sur les épaules, retenir entre ses doigts la tempête de merveilles en dépit de ce monde qui broie l’innocence. Lui opposer cet élan du fraternel :
«
À André

Pour seules richesses
Un banc de fortune
Sous le feu des regards indignés
Quelques gestes sans parole
Jetés aux fausses promesses des anges gardiens
Réfugiés dans leurs hautes tours factices
En déshérence de tout
Anonymes de leur propre identité
Ils ne font que passer
Ils sont comme ces ombres suspendues à rien

À cet instant
Je pense à toi André
Retrouvé mort
À quelques pas de la place Saint Sulpice
Là où la poésie fait son marché
Gisant dans le recoin d’une cage d’escalier »